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Principes fondateurs

Une commission d’enquête indépendante inscrite dans la Justice transitionnelle

La Commission d’enquête indépendante s’inscrit dans le lignage de la Justice transitionnelle, dont l’IFJD est spécialiste. Elle s’apparente ainsi à une Commission Vérité, dont les principaux objectifs sont les suivants :

  • Être centrée sur les victimes, pour satisfaire leurs droits à la vérité, à la justice, aux réparations et aux garanties de non-répétition
  • Être au croisement des parcours individuels et de la dimension collective et systémique pour comprendre les violences et leurs causes et favoriser la non-répétition

La Commission d’enquête indépendante sur les violences sexuelles et physiques commises à Notre-Dame-de-Bétharram revendique d’abord d’inscrire son action dans la continuité des commissions qui l’ont précédées à savoir la CIASE, la CIIVISE et la commission de recherche sur les enfants réunionnais transplantés dans l’hexagone. Cette continuité tient à la fois à la présence, au sein de la Commission, d’anciens membres de ces instances, mais également à leur proximité thématique et méthodologique.

Ainsi, nous souhaitons, tout en poursuivant nos investigations spécifiques, nous inscrire dans la continuité des conclusions et orientations que ces commissions ont formulées tant en ce qui concerne la dimension systémique des violences sexuelles exercées à l’encontre des enfants placés dans une posture de vulnérabilité accrue, que sur les formes spécifiques – et perverses – de la domination à l’origine de ces violences et de leur impunité.

Toutefois, cet héritage, pour important qu’il soit, n’épuise pas l’énoncé des principes sur lesquels nous souhaitons fonder notre action. En effet, héritiers de la pensée de Louis Joinet et convaincus de la pertinence des piliers qu’il a formulés en 1997, nous revendiquons le rattachement de la Commission d’enquête indépendance au modèle des Commissions vérité et réconciliation, instrument privilégié de la Justice transitionnelle, qui a connu depuis quelques années une évolution significative.

Un nouveau cadre

L’inscription de la Commission dans la logique de la Justice transitionnelle participe d’une évolution majeure intervenue à partir des années 2010. D’abord strictement limités aux contextes de « rupture » fondamentale mettant fin à des crises majeures (génocide, révolutions politiques et sorties de conflits armés), les mécanismes de la Justice transitionnelle offraient une voie alternative de répression des crimes les plus graves (crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crime de génocide). Ils se développent aujourd’hui au-delà de cette frontière initiale pour faire face à des violences coloniales ou systémiques commises au sein de démocraties. Ils permettent alors certes le rétablissement de droits massivement violés, mais sans remettre en cause les fondements politiques et sociaux des Etats concernés.

Cette forme de Justice transitionnelle a alors pour objet le renforcement démocratique, et non plus la révolution radicale (au moins quant à son objet) que l’on connaissait auparavant. A la suite des Commissions vérité canadienne, australienne et nord-européennes, la Commission participe de cette première mutation visant à analyser et condamner des pratiques de dominations violentes à l’égard d’enfants scolarisés dans des institutions religieuses.

Un nouvel instrument

C’est ensuite le cadre de travail de ces commissions qui a connu une profonde mutation. D’abord strictement étatiques, elles sont en effet sorties, à la même période, de ce cadre initial pour être portées par des structures extra-étatiques, d’abord régionales ou fédérées, puis de la société civile. Sont ainsi apparues des Commissions vérité portées par des ONG ou des églises, destinées à compléter – voire remplacer en cas de refus – l’action de l’Etat.

La création de la Commission d’enquête indépendante, à l’initiative de la congrégation de Bétharram, sous la pression des dénonciations des victimes, s’inscrit dans cette mutation. Elle est d’autant plus remarquable qu’elle institue une nouvelle dynamique et accentue encore – au sein des sociétés libres – les moyens de défense des victimes de violences massives.

Cette mutation s’est d’ailleurs accompagnée de l’émergence de mécanismes informels et parfois dématérialisés tels que des pétitions ou groupes créés sur des réseaux sociaux. Fragiles à l’origine, ils se sont renforcés avec – et grâce – au processus mis en place : la modernité technologique donnant ici des armes à des mouvements souvent minoritaires et désorganisés. Cette forme de justice transitionnelle « participative » a trouvé dans le mouvement #MeToo sa dimension la plus exacerbée et la plus spectaculaire.

Si la nécessité d’une interprétation et d’une transposition synthétique par des commissaires demeure, cette mutation technologique a incontestablement renforcé la position sociale des processus de justice transitionnelle désormais portés par un nombre de victimes infiniment plus important que précédemment.

Une autre justice

C’est enfin, au travers de ce mouvement, l’émergence d’une « nouvelle forme de justice » qui fonde la création de la Commission d’enquête indépendante. C’est bien là que nous souhaitons – modestement mais de toutes nos forces – inscrire notre action. Le constat de l’originalité de la Justice transitionnelle, notamment au moyen des commissions vérité, n’est pas nouveau. La création de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud a d’abord suscité des critiques. Privée de tout pouvoir de condamnation des auteurs de violences, elle a en effet semblé être un processus « subtil d’amnistie ». Néanmoins, les travaux de cette commission, marqués par l’écoute bienveillante des victimes, l’analyse structurelle et sociétale des violences et des recommandations relatives aux réparations et aux réformes visant la non-répétition, ont révélé une nouvelle forme de justice reconstructive.

L’objectif n’est pas de substituer une logique reconstructrice à la logique pénale, mais de les cumuler. Il s’agit de considérer qu’en démocratie, face à des crimes massivement commis, recourir aux réponses apportées aux crimes de masse est pertinent. En effet, certaines violences par leur caractère systémique et leur ancrage sociétal, dépassent le stade des faits divers plus ou moins monstrueux pour devenir de véritables faits sociaux exprimant une réalité systémique dont la répression va bien au-delà de la condamnation pénale – pourtant absolument nécessaire – de leurs auteurs.

L’objectif de la Commission d’enquête indépendante sur les violences sexuelles et physiques commises à Notre-Dame-de-Bétharram n’est donc ni de juger – elle n’en a ni la volonté, ni la compétence –, ni d’absoudre ou « réconcilier » à marche forcée. Notre ambition est d’expliquer et de comprendre. Expliquer par quels mécanismes une telle violence a pu s’exercer et comprendre comment une communauté sociale dans son ensemble a pu manquer à ses obligations de surveillance et à son devoir de vigilance et d’indignation. Expliquer les conséquences de cette violence sur les victimes et comprendre quelles mesures de réparation devront être proposées. Expliquer les fondations profondes de cette violence et tenter de comprendre comment désormais la prévenir.

Justice transitionnelle

La Justice transitionnelle est définie, par les Nations Unies, comme « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».

Rapport du Secrétaire général, « Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », S/2004/616, 23 août 2004.

Les piliers de la Justice transitionnelle définis par Louis Joinet

  1. droit de savoir : droit inaliénable de chaque peuple ou personne à connaître la vérité sur les événements passés, leurs circonstances et leurs motifs, devoir de mémoire de chaque peuple face à son histoire, droit spécial des victimes directes et indirectes de connaître la vérité quant aux violations subies.
  2. droit à la justice : obligation de mener des enquêtes judiciaires approfondies, indépendantes et impartiales et de prendre des mesures adéquates à l’égard des auteurs des violations des droits de l’Homme.
  3. droit à la réparation du préjudice résultant des violations commises. Ce droit est individuel, mais peut également être collectif lorsqu’un groupe a – dans son ensemble – subi des violations, la réparation pouvant être matérielle mais également symbolique.
  4. droit aux garanties de non-répétition des violations graves des droits humains. Ces garanties sont constituées des réformes institutionnelles et des mesures à même d’assurer le respect des droits et libertés et de l’Etat de droit.

Commission Vérité et Réconciliation

Les Commissions Vérité et Réconciliation sont composées « d’experts indépendants, mandatées par des États ou des institutions internationales pour une durée limitée, à l’effet d’enquêter sur les abus massifs aux droits de l’homme commis pendant une période déterminée du passé. En recueillant des témoignages, la commission est chargée de répertorier dans un rapport public les abus qu’on lui a signalés dans le cadre de son mandat, de proposer les moyens de réparer le tort fait aux victimes, de tenter d’en préciser les causes à l’effet d’en éviter le renouvellement et de faciliter la réconciliation nationale »

Etienne JAUDEL, Justice sans châtiment – Les commissions Vérité et Réconciliation, Odile Jacob, 2009, p. 75.

Clips vidéo pédagogiques de l’IFJD

En savoir plus sur la Justice transitionnelle

« L’approche française de la Justice transitionnelle », ministère des Affaires étrangères et du Développement international, 2014

« Les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace francophone », OIF, 2021